Un véhicule équipé d’un système de mesure des polluants en conditions réelles (PEMS)
Il y a quatre ans, l’Europe finissait par se mettre d’accord sur un objectif de réduction des émissions de CO2 des voitures particulières. À l’horizon 2021, l’industrie automobile ne devra ainsi excéder les 95 g/km en moyenne par véhicule vendu, sous peine d’amendes colossales. Un objectif qui paraissait alors ambitieux, mais réaliste. Sauf qu’entre temps, entre Dieselgate, explosion des ventes de SUV et nouvelles normes d’homologation, le défi semble désormais inatteignable…
Un gramme. Un tout petit gramme. Mais il pèse lourd ! L’an dernier, les émissions de CO2 moyennes des véhicules neufs des 10 plus grands constructeurs ont augmenté de 1 g/km, à 113,8 g/km. Une hausse certes symbolique, mais qui met un terme à dix ans de baisse continue des émissions. Pour l’ensemble des constructeurs, y compris les marques « premium », dont les modèles haut de gamme sont plus émissifs, la moyenne est désormais à 118,1 g/km. C’est beaucoup mieux que les 159,1 g/km de 2007, mais on est encore loin des 95 g/km prévus pour 2021, et l’objectif paraît de plus en plus difficile à atteindre… voire carrément hors de portée !
Les raisons de cet inversement de tendances sont multiples. En premier lieu, la désaffection du public pour les motorisations diesel. De par leur fonctionnement, ces mécaniques rejettent naturellement moins de CO2 que leurs équivalentes à essence. En moyenne, les modèles diesel immatriculés en Europe l’an dernier émettaient 117,9 g/km de dioxyde de carbone, contre 123,4 g/km pour les modèles essence. Mais le scandale du Diesel gate a jeté le discrédit sur cette technologie : entre augmentation des taxes sur le gazole et menaces quant à la libre circulation des modèles diesels (qui seront par exemple bannis de Paris dès 2024), la clientèle a pris peur. Résultat, si le diesel représentait 52 % des ventes en Europe en octobre 2015, date où le scandale du Dieselgate a éclaté, cette part est descendue à 42 % fin 2017.
Mais la hausse des émissions de CO2 est également due à une tendance forte du marché : la mode des SUV. Ils représentent désormais quasiment une immatriculation sur trois en Europe.
A noter que toutes les marques n’ont pas le même objectif : les 95 g/km représentent en effet la moyenne globale que l’industrie doit atteindre en 2021, chaque marque s’étant vu attribuer un objectif résultant d’un calcul complexe prenant en compte le poids et la taille des véhicules produits (les plus gros modèles ont le « droit » d’émettre davantage de CO2), ainsi que la production annuelle de chaque groupe. Les plus petits constructeurs bénéficient d’un traitement de faveur : s’ils produisent entre 10 000 et 300 000 véhicules par an, ils peuvent opter pour une réduction forfaitaire de 45 % de leurs émissions par rapport au niveau de 2007.
Pour compliquer le tout, les émissions de CO2 sont désormais mesurées selon le cycle WLTP, plus exigeant que l’ancien cycle NEDC en vigueur lorsque l’objectif de 95 g/km a été fixé. Selon une étude de l’institut JATO réalisée sur un échantillon de véhicules, les émissions de CO2 en cycle WLTP seraient de 9 à 17 % plus élevées qu’en cycle NEDC, rendant encore plus difficile le respect des futures normes.
Voies complémentaires pour réduire l’empreinte du parc automobile
Au-delà des débats sur les motorisations, une approche systémique reste nécessaire pour abaisser durablement l’empreinte des transports routiers : penser en termes de transition énergétique, décarbonation et recyclage des batteries permet d’ouvrir des pistes concrètes. L’optimisation de la consommation via des améliorations d’efficacité énergétique (gestion thermique, optimisation aérodynamique, réduction de la masse) s’accompagne d’outils numériques comme le télécodage et la gestion de flotte par géolocalisation, qui réduisent les kilométrages et améliorent le bilan énergétique. Parallèlement, le développement d’alternatives comme les véhicules hybrides rechargeables et les carburants de seconde génération offre des solutions intermédiaires, tandis que la planification des déplacements favorisant le report modal réduit la pression sur le parc automobile.
Pour que ces leviers s’articulent, il faut penser cycle de vie et infrastructures : mise en place d’infrastructures de recharge intelligentes, stratégies de second cycle pour les batteries et filières locales de réemploi et de recyclage afin de limiter l’impact écologique global. Les politiques publiques et les gestionnaires de flotte peuvent privilégier des mesures d’incitation à la mobilité partagée, des audits énergétiques et des programmes de formation pour l’éco-conduite. Enfin, l’innovation dans la maintenance prédictive et la télémaintenance optimise la disponibilité sans gonfler l’empreinte carbone du service. Pour en savoir plus sur des initiatives locales et des solutions pratiques, consulter le site Votre Garage Solidaire permet d’accéder à des ressources sur la réparation, la réutilisation de pièces et la solidarité mécanique, éléments souvent négligés mais essentiels à une mobilité plus soutenable.
Le rôle des modèles économiques et des systèmes d’organisation
Au-delà des progrès techniques, la réduction durable des émissions exige une mutation des modèles économiques et de la gouvernance de la mobilité. L’innovation passe par l’écoconception, le bilan carbone et l’économie de fonctionnalité : privilégier la vente d’un service plutôt que d’un bien permet de maximiser l’utilisation des véhicules, de prolonger leur durée de vie et de favoriser la maintenance récurrente et la réparation. La standardisation des composants et la modularité facilitent la réutilisation et la remise à neuf, tandis que la formation des opérateurs et la montée en compétences des ateliers locaux renforcent la résilience des filières. Par ailleurs, l’intégration de sources alternatives comme l’hydrogène et la pile à combustible offre une diversification technologique, complétant les options électrifiées et les systèmes embarqués de gestion d’énergie. Du côté numérique, l’accent sur l’interopérabilité des plateformes, la cybersécurité et les logiciels embarqués autorise une meilleure coordination entre acteurs, optimise l’occupation des véhicules et réduit le kilométrage inutile.
Sur le plan territorial, encourager la micro-mobilité, les hubs intermodaux et la consolidation logistique en ville diminue la dépendance à la voiture individuelle pour les trajets courts ou les livraisons. Les autorités peuvent accélérer la transformation par des outils de tarification dynamique, des marchés publics verts et des incitations fiscales orientées vers la durabilité.
Nouvelles pistes organisationnelles et technologiques
Au-delà des leviers déjà évoqués, il existe des stratégies complémentaires peu débattues qui peuvent transformer la sobriété du parc automobile : la mise en place de micro-usines de remanufacturation locale et de chaînes de logistique inversée pour les composants permettrait de réduire l’empreinte liée au transport de pièces et d’augmenter le taux de réemploi. Parallèlement, le développement de systèmes de stockage stationnaire à base de second cycle de batteries, associés à des services de flexibilité réseau, rend possible la mise en valeur énergétique des actifs automobiles hors circulation. L’intégration de services de tarification au kilomètre et de modèles d’abonnement modulaires favorise la sobriété d’usage et encourage la mutualisation des véhicules, tandis que la création de labels de qualité pour les ateliers et les filières de remise à neuf renforce la confiance des usagers et stimule l’économie circulaire.
Sur le plan technologique, la généralisation des jumeaux numériques pour les flottes et les systèmes de gestion d’énergie embarqués permet d’anticiper l’usure, d’optimiser l’ordonnancement des maintenances et d’améliorer l’efficacité opérationnelle sans augmentation de kilométrage inutile. L’intégration de solutions bidirectionnelles type vehicle-to-grid (V2G) ouvre des perspectives de services réseau et de stockage décentralisé, tout en créant des revenus complémentaires pour les propriétaires. Enfin, coupler ces approches à des mesures territoriales — zones à faibles émissions, plans de mobilité et intelligence logistique pour réduire les trajets à vide — contribue à une réduction structurelle des émissions.
Agir sur la demande : leviers comportementaux et d’organisation
Au‑delà des progrès technologiques et des filières, une réduction significative des émissions passe par des changements d’usage et des mécanismes d’incitation. Encourager le télétravail et la modulation des horaires réduit les heures de pointe, diminue les distances parcourues et l’empreinte liée aux déplacements pendulaires. La gestion dynamique du stationnement, la tarification liée à l’occupation de l’espace public et les récompenses pour les trajets partagés constituent des leviers d’acceptation sociale efficaces. Parallèlement, l’intégration d’outils numériques de planification (algorithmes de routage dynamique, plateformes de réservation intermodale) permet d’optimiser les itinéraires et de limiter les trajets à vide, tandis que la mesure de l’empreinte par passager‑kilomètre offre un indicateur opérationnel pour piloter les flottes et les politiques locales.
Sur le plan organisationnel, privilégier des offres combinées (abonnement multimodal, services à la demande) facilite la mutualisation des ressources et augmente le taux d’utilisation des véhicules. Les autorités locales peuvent expérimenter des « nudges » comportementaux — information en temps réel, feedback sur les économies réalisées — pour infléchir les choix de déplacement sans recourir uniquement à des mesures contraignantes.
Indicateurs, financement et traçabilité : leviers peu explorés
Pour compléter les courants déjà évoqués, il est crucial d’intégrer des mécanismes de gouvernance et des outils financiers dédiés à la durabilité du parc. Au‑delà des subventions et des incitations fiscales classiques, le déploiement de contrats de performance pour flottes, de mécanismes d’assurance indexés sur l’usage et de prêts dédiés à la rénovation permettrait d’amortir le coût des interventions réparatrices et d’encourager la réparation durable. Parallèlement, la mise en place d’un indice de réparabilité obligatoire et d’une analyse du cycle de vie (ACV) standardisée pour chaque modèle rendrait comparables la durabilité et les externalités environnementales des véhicules, facilitant les choix des gestionnaires de flotte et des usagers. Ces instruments financiers et indicateurs favorisent aussi l’émergence de nouveaux métiers locaux — qualification en diagnostic, bancs d’essai pour composants remis à neuf, services d’optimisation d’usage — qui renforcent la résilience industrielle territoriale.
Enfin, la traçabilité des composants et la certification des pièces reconditionnées sont des leviers sous‑exploités ; un registre numérique sécurisé des pièces (certificat d’origine et d’historique d’entretien) améliore la confiance et raccourcit les chaînes d’approvisionnement. Coupler ce registre avec des plateformes d’échange locales et des opérations de financement participatif pour ateliers de proximité stimule l’économie locale et réduit les flux de matières. Ces approches, fondées sur la traçabilité des composants et la transparence des performances, complètent les solutions techniques et organisationnelles déjà présentées.
Renforcer la résilience territoriale par l’innovation locale
Au-delà des leviers techniques et des modèles économiques évoqués, il existe un champ d’actions centré sur la proximité et la circulation locale des ressources : développer des micro‑ateliers d’impression additive, favoriser l’upcycling, ateliers mobiles et souveraineté des pièces et déployer des plateformes de partage de plans et de fichiers CAO pour pièces détachées. Ces approches permettent de produire des éléments de rechange à la demande, de réduire les délais d’approvisionnement et d’abaisser l’empreinte liée au transport de composants. Parallèlement, la valorisation de matériaux biosourcés ou recyclés dans des pièces non critiques et la mise en place d’opérations d’upcycling transforment des déchets automobiles en ressources pour l’aménagement local, l’équipement d’ateliers ou la fabrication d’accessoires utiles.
Sur le plan organisationnel, encourager des modèles de financement participatif territorial, des fonds locaux de préservation des pièces et des microcrédits pour ateliers itinérants facilite la montée en compétence et l’équipement d’équipes de maintenance de proximité. La création de modules de formation courte et de micro‑certifications professionnelles renforce l’employabilité et la capacité d’intervention sur site, tandis que des indicateurs nouveaux — mesure de la capacité résiduelle des composants, taux d’upcycling ou part d’impression additive utilisée — offrent une lecture opérationnelle de la résilience locale. Enfin, des dispositifs de gouvernance partagée (comités citoyens, plateformes de crowdsourcing pour pièces et procédures) assurent la transparence, optimisent l’utilisation des ressources et transforment la réparation en facteur d’innovation sociale et écologique au niveau communal et intercommunal.
Nouvelles dimensions : télémétrie, orchestration et financement local
Pour aller plus loin, il convient d’explorer des leviers numériques et financiers peu discutés jusqu’ici. La généralisation de la télémétrie, intelligence artificielle et charge opportuniste permettrait d’adapter en temps réel la gestion des flottes : en analysant les données de conduite, d’état de santé des composants et de disponibilité de l’énergie, des algorithmes d’optimisation peuvent réduire les besoins en capacité installée, lisser les pics de recharge et favoriser une agilité opérationnelle qui diminue l’empreinte liée aux redondances. L’orchestration logicielle des véhicules (mutualisation dynamique, repositionnement prédictif, agrégation d’énergie) ouvre la voie à des services marchés — flexibilité réseau, réserve décentralisée — sans accroître le parc. Ces approches s’appuient sur des modèles probabilistes, la supervision distante et des tableaux de bord orientés performance par passager‑kilomètre, complétant les outils de maintenance prédictive déjà évoqués.
Parallèlement, des instruments financiers et de gouvernance locaux peuvent catalyser l’action : obligations vertes dédiées aux ateliers, micro‑assurances indexées sur l’usage et contrats de performance territoriaux favorisent le financement de la remise à neuf, des plateformes de pièces réemployées et des micro‑infrastructures partagées. En articulant mécanismes d’incitation, certification des compétences et marketplace locale pour composants reconditionnés, on stimule une symbiose industrielle entre réparateurs, recycleurs et gestionnaires de flotte.
Financer la disponibilité et réduire le coût réel de l’usage
Pour compléter les approches techniques et organisationnelles déjà évoquées, il est utile d’explorer des leviers financiers et opérationnels centrés sur la performance d’usage plutôt que sur la seule propriété : contracter des services indexés sur le coût total de possession (TCO) et sur des garanties de niveau de service permet de réorienter les décisions d’achat vers la durabilité. En pratique, cela passe par des contrats de location longue durée incluant la gestion des stocks de pièces, des mécanismes d’assurance modulés selon l’état réel du véhicule et des incitations à la remise à neuf via des plateformes de reconditionnement locales. Ces dispositifs réduisent l’immobilisation des véhicules, améliorent le taux de disponibilité et amortissent le coût des interventions réparatrices au fil du temps.
Sur le plan technologique et logistique, l’introduction de solutions de recharge sans contact et de charge inductive au sein de hubs urbains ou d’infrastructures partagées permet de minimiser les contraintes d’arrêt pour recharger et d’augmenter l’usage effectif des véhicules reconditionnés. Parallèlement, développer des outils de simulation de scénarios de vieillissement pour batteries et composants, combinés à une modélisation des flux de pièces (logistique atomisée), aide à prioriser la remise en service des équipements les plus rentables sur le plan environnemental. Ces orientations favorisent la création de nouveaux métiers locaux — gestionnaire de parc orienté performance, analyste TCO, opérateur de marketplace de pièces — et ouvrent la voie à des instruments de financement innovants (prêts à la performance, fonds locaux de rotation) qui partagent le risque entre propriétaires, réparateurs et collectivités.